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Vies de femmes : Tentative d’hommage

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photo : la grande guerrière Yennenga, ancêtre des Mossi, sur son étalon (ouédraogo) [1]

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Amandine Monlezun : partie principale, Günther Lanier : introduction et post-scriptum
Ouagadougou 22 mars 2024

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Cela devait se passer sans pompe et nonobstant être un hommage digne, à la hauteur de cette journée internationale de la femme qui, au Burkina Faso, est en effet une grande fête.

Le Club international des Femmes de Ouagadougou (CLIF)[2] avait donc, pour le soir de ce fameux 8 mars, invité à une rencontre dédiée à rendre honneur aux femmes – en «parlant» de quelques-unes parmi elles (voir l’affiche à la fin de l’article).

Quatre femmes avaient été invitées à raconter leurs vies ou ce qu’elles voulaient en présenter, ce qu’elles jugeaient intéressant. Parmi elles ma chère amie Dorothée Batiga, une vraie battante, que la polio dont elle a souffert à un an et quelques mois et les béquilles qui l’accompagnent partout, n’ont pas pu empêcher de poursuivre une carrière variée et à succès, que ce soit au ministère d’éducation, dans le contexte de la société civile, dans une organisation internationale ou dans plusieurs ambassades. Elle a récemment, pour ainsi dire, jeté le froc aux orties en démissionnant de son poste plus que bien payé chez les Danois.es pour retourner à la recherche étatique et travaille, à quelques années de sa retraite, sur sa thèse de doctorat sur les organisations féminines à Ouagadougou et autour.

Après la partie autobiographique de la soirée, il y avait aussi trois récits de vies de femmes par autrui. Une membre haïtienne du Clif nous racontait comment une de ses amies avait réussi une carrière académique fulgurante – pourtant elle avait grandi dans des conditions d’extrême pauvreté et elle ne le devait qu’au hasard d’avoir pu intégrer une école du tout. Moi-même, j’avais concocté un texte sorti de l’introduction de mon livre sur les femmes burkinabè[3] : sur Macoucou Traoré – à côté de Yennenga une des beaucoup trop peu de femmes qui, dans l’histoire burkinabè, sont parvenues à de la notoriété. Macoucou Traoré a failli devenir la toute première Première Dame du pays (son mari a été empoisonné peu avant sa prise de fonction) et elle y devint la toute première femme ministre et aussi la toute première députée.


Macoucou Traoré, à Grand-Bassam une des meneuses de la marche des femmes qui, en 1949, mit à genoux l’administration coloniale ; plus tard la première ministre et la première députée de son pays [4]

Et pour en finir et (au moins pour moi) couronner la partie présentations de la soirée, Amandine Monlezun, la vice-présidente du Clif et première responsable de la fête du 8 mars, nous lut un texte qu’elle avait rédigé en hommage à sa meilleure amie burkinabè. Je souhaiterais seulement ci-dessous pouvoir ajouter la vivacité d’Amandine, ses yeux étincelants, son enthousiasme si communicatif…

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Il y a des ces rencontres qui changent tout.

à cette femme que j’admire…

Amandine Monlezun

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La fillette naît au village, famille standard installée dans une petite maison modeste et réconfortante, un papa, une maman, une grande sœur et un petit frère. Vie rythmée par le travail au champ, les petits travaux et l’école coranique.

Des épreuves difficiles sur le parcours mais qui seront comprises bien plus tard. Non sans impact malheureusement…

Le papa décède et la famille est divisée. La fillette est séparée de sa maman[5] et élevée par une famille voisine. Une histoire de mariage est derrière tout ça, la fillette serait promise à ce voisin… A ce qu’il parait ! Qu’importe, la fillette continue de grandir et à 16 ans elle veut partir à la capitale. Pour y faire quoi ? Elle ne sait pas vraiment, mais il lui semble que l’avenir est meilleur là-bas !

Alors elle prend la fuite. Demander l’autorisation au chef de la maison ? Non, la veille, elle annonce son départ en parlant fort à travers le mur. Pas un manque de courage mais plutôt un affront. Personne ne la retient, ils se disent tous qu’elle reviendra dans peu de temps.

Elle rassemble ses petites économies et se trouve une place dans un grand camion de transport. Le chauffeur lui demande où faut-il la déposer. Elle dit «à Ouagadougou»[6]. Le chauffeur rit et lui dit que Ouagadougou là, c’est grand. Tu vas chez qui ? Elle veut rejoindre sa sœur qui est ici hébergée par une famille cousine. Mais le chauffeur, pas un inconnu, du même village, appelle le «petit tonton»[7], celui à qui, depuis le décès de son père, l’adolescente doit rendre des comptes.

Elle reste une dizaine de jours chez ce «petit tonton» et ce dernier la donne à une famille cousine éloignée en guise de bonne. Elle surprend la conversation entre le vieille[8] (sa nouvelle patronne) et le petit tonton. «Prenez là, je ne demande rien, elle ne demandera pas d’argent».

12 ans au service de cette famille qui usa tous les jours un peu plus de son énergie.

Maltraitance verbale, non-assistance à personne malade (pourquoi soigner les bonnes, elles sont si robustes !) et négligence totale.

Je l’ai rencontré, elle avait 21 ans, moi 25. Elle ne parlait pas français (et moi pas mooré[9]) mais tout s’est joué au regard. Elle n’a pas demandé d’argent, elle voulait apprendre. Elle apprenait le français par le biais du catéchisme. J’étais hébergée par cette famille lors de mon premier voyage au Burkina Faso. Je faisais du bénévolat par ci par là et lorsque je rentrais à la maison c’est elle qui était là. Elle m’a fait visiter son Ouagadougou à elle (pas plus grand que 500m autour de la maison) qu’elle maitrisait sur le bout des doigts. Elle maitrisait bien son monde, la petite !

Le départ approche et puis je promets de revenir. Evidement elle ne me croit pas.

Je suis revenue, une fois par an, tous les ans… A chaque séjour, on passait du temps ensemble, on parlait de nos vies, de nos ambitions. Elle eut avec succès son CEP en juin 2016 (non sans mal, j’étais intraitable sur l’école !). Plus tard la même année, elle me dit qu’elle veut quitter là où elle est. Aucune idée de ce que lui réservait l’avenir mais pour elle, trouver un mari n’était pas un projet ! Elle voulait apprendre un métier, être autonome et indépendante. Mais elle ne savait pas par où commencer.

Je vivais bien, en Europe, une vie ordinaire et sans soucis majeur. Un peu d’ennui peut-être. Cette jeune femme m’a réveillée et m’a donné envie de changer de vie. Pourquoi pas construire un début d’avenir ensemble ? On verra bien après.

Aujourd’hui, elle a sa petite entreprise, son indépendance morale et financière, modeste mais précieuse.

Elle est un coup de foudre amical et une rencontre qui a changé ma vie. Il parait que j’ai aussi changé la sienne !

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«Et si on parlait des femmes !», affiche pour la fête du CLIF le 8 mars 2024 [10]

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P.-S. inspiré par ma lectrice Petra Radeschnig[11] : Ne devrions-nous pas transformer la journée de fête du 8 mars en journée de combat ? A part les succès-face-à-l’adversité, y-a-t-il beaucoup à célébrer ?

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Notes de fin :

[1] Photo de GL du pass général du Festival panafricain du film et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) 2017.
Les Mossi – d’un patriarcat bien ancré malgré leur ancêtre féminine – représentent autour de 50% des Burkinabè. La Princesse Yennenga, sur son étalon, vint du sud (aujourd’hui le nord du Ghana) il y a très longtemps. Avec la naissance de son fils, le premier des Ouédraogo (toujours le nom le plus répandu parmi les Mossi), elle disparut des radars de l’histoire. Son fils entama alors la conquête de l’empire Mossi.

[2] J’ai déjà une fois dédié un article au CLIF : Günther Lanier, CLIF ou Sortir de l’ombre, Ouagadougou (Africa Libre) 17 mars 2023, https://www.africalibre.net/articles/496-clif-ou-sortir-de-l-ombre respectivement Vienne (Radio Afrika TV) 17 mars 2023, https://radioafrika.net/clif-ou-sortir-de-lombre/.

[3] Günther Lanier, Au pays des femmes intègres, Ouagadougou (CEPRODIF) 2020. Pour Macoucou Traoré alias Célestine Ouezzin Coulibaly, voir les pages 27-32. Pour Yennenga ibid., pages 19-22.

[4] © Sénat, https://www.senat.fr/senateur-communaute/ouezzin_coulibaly_celestine0011sc.html.

[5] Note GL : Rien d’extraordinaire : dans le patriarcat Mossi, les enfants appartiennent au père ; et selon la loi burkinabè en vigueur aussi, à partir de l’âge de 7 ans les enfants lui appartiennent. Mais ici, il semble s’agir d’autre chose : si une fille est promise en mariage, elle pouvait, selon la tradition, aménager avec sa famille longtemps avant d’être nubile – elle vivait alors sous l’autorité de la mère de son futur époux.

[6] La capitale du Burkina Faso a aujourd’hui plus de deux millions d’habitant.e.s.

[7] Note GL : Très probablement le petit frère ou cousin du papa, appelé «petit papa» en langues locales, «héritier» des enfants du décédé.

[8] Note GL : «Vieille» ou «vieux» sont des marques de respect dans un contexte burkinabè. «Ma vieille» et «mon vieux» désignent la mère et le père.

[9] Note GL : Mooré est la langue des Mossi (mentionné.e.s plus haut/voir note 1).

[10] Photo CLIF 27 février 2024.

[11] Petra Radeschnig est la lectrice de mes articles allemands hebdomadaires et de mes livres allemands. Cet article est d’abord sorti en allemand le 20 mars sur Africa Libre et RadioAfrika sous le titre «Frauenleben. Versuch einer Ehrung», https://www.africalibre.net/artikel/562-frauenleben-versuch-einer-ehrung respectivement https://radioafrika.net/frauenleben-versuch-einer-ehrung/.

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